Lacan-araña. heraldo de topología

Louis Ferdinand Céline et son rejet de Freud


Texto:

Je commence en disant que j’ai essayé plusieurs fois et pendant quelques années de lire le livre de Céline, Voyage au bout de la Nuit,, mais après la lecture de quelques pages je ne pouvais pas continuer cette lecture.

Quelqu’un dans mon entourage me disait qu’évidemment je ne pouvais pas lire Céline à cause de son antisémitisme et de mon transfert sur Freud. Bien sûr, cela ne pouvait pas être écarté. Mais j’attribuais ma difficulté de lecture à mon manque de compréhension de l’argot qu’il employait. Après avoir fi nalement lu le livre et après- coup j’espère avoir élucidé qu’elles étaient les raisons de ma diffi culté et je vais essayer de les déployer dans mon exposé.

Je crois nécessaire de commencer en relevant quelques données. Céline ne cite pas Freud, nous ne savons lesquels de ses travaux il a lu.

Céline a dit dans une interview en 1933: “Notre grand maître actuellement à tous ç’ est Freud”et en juillet de la même année il a écrit à une amie: “Les travaux de Freud sont réellement très importants pour autant que l’Humain soit important”..

Au moment de la publication de Voyage au bout de la Nuit en 1932, Céline multiplie en public et en privé, les déclarations d’admiration pour Freud qu’il cite avant que n’importe quel autre écrivain contemporain, comme la seule infl uence intellectuelle vraiment déterminante pour lui. Je souligne que Freud a publié Pourquoi la Guerre précisément en 1932.

En 1933 il déclare: En 1933 il déclare: “Si la littérature donc a une excuse c’est de raconter nos délires. Le délire, il n’y a que cela et notre grand maître à tous c’est Freud”.

Voyage recèle deux allusions explicites à la psychanalyse. D’une part lorsque Ferdinand Bardamus, le protagoniste principale du roman et double de Céline affi rme que de nos jours il n’est plus possible de se livrer à la psychologie classique qu’incarne Jean de la Bruyère, parce que l’inconscient se débine devant vous dès qu’on s’approche.

D’autre part à travers les attaques Во-вторых, во время нападок наdu chef de l’asile où Bardamus travaille à ceux qui s’ennuient dans le conscient, Bardamus apparaît comme le défenseur des analyses superconscientes.

Le 26 mars 1933 Freud écrit à Marie Bonaparte: “J’ai entrepris de lire le livre de Céline et en suis à la moitié. Je n’ai pas de goût pour cette peinture de la misère, pour la description de l’absurdité et du vide de notre vie actuelle, qui ne s’appuierait pas sur un arrière-plan artistique ou philosophique. Je demande autre chose à l’art que du réalisme. Je le lis parce que vous désirez que je le lise”..

J’aimerais ici faire un petit excursus à propos des changements que Céline a fait de son nom. Son père s’appelait Ferdinand Destouches et lui Louis Ferdinand Auguste Destouches. C’est sous ce nom qu’il va signer ses premières pièces de théâtre. Après il adoptera Louis Ferdinand Céline. Céline était le prénom de sa grand-mère maternelle. Finalement il choisira Céline comme pseudonyme.

Il est né en 1894. Le scandale de l’Affaire Dreyfus se déploie entre 1894 et 1906. Son père était antidreyfusard et antisémite. Selon ses déclarations autobiographiques il n’a jamais pris au sérieux cette position de son père.

Quand la guerre éclate en août 1914 il a 20 ans. Mais son expérience de la guerre, qui fera de lui un pacif i ste acharné, ne dure que trois mois, blessé dès le mois de novembre il est démobilisé. Je note que Freud a publié De la Guerre et de la Mort. Sujets d’actualité en 1915.

La publication du Voyage apporta une célébrité immédiate à Céline. Un nouveau roman Mort à Crédit, paru en 1936 a un accueil assez froid qui la déçut profondément. Dès lors son activité littéraire s’élargit, il compose des arguments de ballets, des essais théâtraux, des synopsis de fi lmes et surtout des pamphlet connus pour leur violence et leur antisémitisme ordurier.

Il fait de la langue populaire la langue de référence, de telle sorte que ceux qu’en parlent une autre dans Voyagesont des imposteurs. En même temps, ce langage populaire habituellement limité à l’usage oral, devient celui du narrateur d’un récit écrit.

Le passage décisif est franchi, il a trouvé ce qu’il appellera son style. L’observation du manuscrit suffit pour constater que Céline supprime peu et amplifie beaucoup. Le passage du manuscrit de 534 feuillets dactylographiés à un total de 899 pages est éloquent. Il ressort que Céline enrichit surtout son texte en indices d’oralité, ajoutant interjections, apostrophes, marques affectives. Et quand il supprime, c’est pour privilégier la coordination, voire la juxtaposition, autant de détails qui visent à briser l’unité et la linéarité de la phrase écrite. On peut voir le désir de créer des personnages fuyants, opaques, de brouiller le dialogue, de dérouter le lecteur.

Je me permets de faire deux autres citations qui m’ont aidé à pouvoir éclaircir où gisait la difficulté de ma lecture.

Le 15 avril 1947 dans une lettre à Milton Hindus, un écrivain qui a reçu le Prix Goncourt par sa biographie de Céline il écrit: “Le raisonnement est un truc pour faire passer le langage parlé en écrit. Le truc c’est moi que l’a trouvé, personne d’autre. Faire passer le langage parlé en littérature ce n’est pas la sténographie. Il faut imprimer aux phrases, aux périodes une certaine déformation, un artifi ce tel que lorsque vous lisez le livre il semble que l’on vous parle à l’oreille”.

Dans une interview de 1957, quatre ans avant sa mort il revendique Freud comme un grand psychiatre, le meilleur des cliniciens. Il dit aussi: “Je me trouve à présent de donner mon impression sur mes chefs d’œuvres, dans un décor de chaise électrique. Mais ça ne va pas me troubler du tout et je vais dire tout ce que j’en pense et personne ne m’empêchera d’en parler. Alors justement j’en reviens encore à ma grande attaque contre le Verbe”..

Je vais énumérer les clés que j’y ai trouvé. Première clé. 1933. Céline fait équivalents sa littérature comme délire et l’œuvre de Freud. Il le dit trois ans avant le déclenchement de son délire paranoiaque dans lequel il attribue à une conspiration des Juifs riches de la France la Proximité de la deuxième Guerre Mondiale, ce que justifie son adhésion au pétainisme.

Freud a écrit que sans la grille du mythe oedipien la psychanalyse pourrait être lu comme un délire. Céline ne tient pas en compte cet ordre symbolique.

Quand Freud écrit à Marie Bonaparte le manque d’appui dans Voyage d’un arrière plan artistique ou philosophique il lit avec son énorme lucidité cette forclusion du symbolique.

Deuxième clé. 1947. Quand Céline se vante que c’est lui qu’a découvert que le raisonnement est une truc pour faire passer le langage parlé en écrit il rejette la logique. C’est justement ce que Freud n’a pas fait. Dans la Science des rêves il insiste à plusieurs reprises sur les lois de la logique dans les rêves. C’est Lacan qui a poursuit cette démarche pour arriver à découvrir de nouveaux connecteurs logiques et pour écrire fi nalement les formules de la sexuation.

Troisième clé. 1947. Céline est très fier d’avoir fait passer la langue parlée en écrit. Il efface ainsi les deux différentes inerties du langage. Cette différence si emphatisée dans l’enseignement de M. Jean Michel Vappereau est d’une importance structurale.

Freud n’aurait jamais pu arriver à déchiffrer un rêve s’il n’aurait pas eu le savoir de faire jouer cette inertie, la figuration du rêve et le récit parlé de l’analysant.